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Durée : 40´
Dans Folle sagesse (Points, Seuil), Chögyam Trungpa propose une étonnante approche de la sagesse en ne lui donnant d'autre contenu que : l'absence d'espoir ! Celle-ci devant être distinguée du désespoir qui contient encore l'attente d'un changement de la situation désespérante. Là où le désespoir paraît en l'occurrence une réaction inévitable, l'inespoir se présente comme cet héroïsme qui décide de cesser de se raconter des histoires pour se relier à ce qui est, tel qu'il est. « Si nous sommes disposés à abandonner l'espoir d'éradiquer l'insécurité et la douleur, alors nous aurons le courage de nous détendre dans une situation sans assise », résume Pema Chödrön, élève de Trungpa (Conseils d'une amie pour les temps difficiles, Ed. Pocket).
Mais comment se détendre dans toutes « les situations sans assise » ? Sous le coup d'un accident n'espère-t-on pas d'abord le rétablissement de ses capacités antérieures, et à quel moment peut-on entrer dans l'inespoir ? Ceux à qui l'on annonce une maladie mortelle peuvent-ils renoncer à l'espoir sans sombrer dans le désespoir ? Passe pour l'inespoir face aux petites déconvenues de la vie, mais quel défi lorsque tout s'effondre ! Pourtant, l'espoir, qui nous projette au-delà de la situation présente, n'étouffe-t-il pas les possibilités inhérentes à toute situation ?
S'il est vrai, comme le note P. Chödrön, que « toutes les raisons d'espérer <…> prennent racine dans notre peur de la mort », il est certes difficile de s'en tenir à ce qui est lorsque la mort, comme fin ultime de notre vie ou comme fin d'une période de notre vie, s'inscrit au cœur de celle-ci. Ainsi, après le plongeon dans une piscine trop peu remplie, qui devait le laisser tétraplégique, Fabien Marsaud, connu sous le nom du chanteur Grand Corps Malade, n'apprécia guère la plaisanterie d'un de ses compagnons qui, le voyant pour la première fois dans le centre de rééducation où il était hospitalisé, le salua par un désinvolte : « Bienvenue chez toi ! » « Il est fou celui-là, se dit Fabien, pourquoi il dit ça ?! C'est pas chez moi ici. Je suis pas handicapé, moi, c'est provisoire tout ça, juste un mauvais moment à passer… » (Patients, Don quichotte) Ce déni permit d'abord à Fabien de traverser le mur de la violence subie, mais c'est à un médecin le jugeant prêt à entendre qu'il ne retrouverait pas toutes ses facultés antérieures qu'il doit d'avoir pu laisser éclore les ressources de son nouvel état.
Il fallut certes à ce médecin un grand tact pour sentir le moment propice, et choisir les mots qui permettent de vivre. D'autant que la « réalité » est si mouvante, qu'elle offre un visage toujours inattendu. Qui des scientifiques qui prédisaient ainsi au fils autiste de Françoise Lefèvre une vie d'enfermement psychique, ou de sa mère qui n'eut de cesse de l'en faire sortir était-il donc plus près du « réel » (Le petit prince Cannibale, Actes sud) ? Jusqu'à quel moment l'espoir fait-il vivre, et quand devient-il, suivant le mot ironique du romancier américain Shalom Auslander, une tragédie (L'espoir, cette tragédie, Belfond) ?
Voilà une question dans l'horizon de laquelle devraient entrer tous les personnels soignants en charge d'annoncer de mauvaises nouvelles, pour les tenir à égale distance d'une « objectivité » brutale, et d'un optimisme impropre à aider leurs patients à se relier à leur état de santé.
Chronique à paraître dans LA CROIX
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