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Durée : 35´
À moins qu’il n’y ait été immunisé par des circonstances particulières, nul n’est sans doute entièrement indifférent au regard de l’autre.
Donald Winnicott a de fait montré que le jeune enfant est tellement vulnérable au premier regard porté sur lui, par sa mère, que s’il n’est pas un vrai regard, attentif et aimant, cela pourra avoir des conséquences importantes sur la construction de sa personnalité.
Mon amie Juliette, qui est atteinte d’une maladie des os de verre qui a arrêté sa croissance à la hauteur de 90 centimètres, me raconta comment sa mère arracha brutalement, quand elle était adolescente, la couverture dont elle recouvrait son corps, dans son fauteuil roulant, pour ne pas être exposée aux regards indiscrets, ou malveillants. Le geste fut accompagné des paroles suivantes : « Si tu dois avoir honte de toi toute ta vie, il vaut mieux que tu meures tout de suite ! »
Dans leur radicalité, geste et paroles apparurent pourtant rétrospectivement à Juliette comme profondément libérateurs ! Alors qu’elle était par avance terrorisée par le regard des autres, sa mère l’avait, au fond, déclarée parfaitement regardable. Elle lui avait ainsi donné une force de résistance incroyable aux regards qu’elle pouvait percevoir comme menaçants. Un regard l’avait par avance protégée contre les autres. Il appartiendrait à Juliette et à elle seule de dire si elle y est devenue entièrement indifférente, mais ce regard maternel fut sans doute déterminant dans la poursuite de sa vie.
La mère de Juliette avait énoncé, sans mesurer sans doute la portée symbolique de son geste et de ses mots, les conditions de possibilité d’une vie vécue comme digne : une telle vie ne doit pas avoir honte d’elle-même !
Or, au cours des recherches que j’ai menées auprès de personnes en situation de handicap, plusieurs d’entre elles ont affirmé être plus gênées par le regard de l’autre que par leur handicap proprement dit. Invitée par une association à parler à Grenoble de mon livre Handicap : pour une révolution du regard (Éditions des P.U.G), j’avais eu la surprise de me retrouver non pas principalement face à des personnes en situation de handicap, mais face à des jeunes gens en difficulté sociale, qui semblaient particulièrement sensibles à cette question.
J’ai enfin constaté auprès de mes élèves un intérêt croissant pour les sujets de philosophie portant sur le regard d’autrui, comme si cela témoignait d’une certaine inquiétude à cet égard.
Sommes-nous donc, ou certains d’entre nous sont-ils donc plus vulnérables au regard d’autrui que ne le furent les générations antérieures, et pourquoi cela serait-il le cas ?
Assisterions-nous à la montée en puissance de la honte de soi, de la mésestime de soi ? De quoi cela témoigne-t-il alors ?
Cette chronique propose quelques pistes de réflexion pour élucider ces questions.
Danielle Moyse
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