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Durée : 35´
Et Rosset de décrire les formes, plus ou moins radicales, d’intolérance au réel : suicide, refoulement, aveuglement volontaire, comme dans le cas d’ Œdipe ou, plus couramment, capacité à s’illusionner. Ainsi, Swann, dans À la recherche du temps perdu, refuse d’accorder foi aux allégations suivant lesquelles Odette serait « une femme entretenue », tout en pensant qu’il lui enverra plus d’argent le mois prochain, et Boubouroche, dans la pièce de Courteline, trouve l’amant de sa maîtresse dans le placard, en accordant pourtant crédit à ses dénégations, et à ses serments de fidélité !
Paru en 1976, Le réel et son double ne pouvait sans doute envisager que l’intolérance au réel pourrait, à la faveur du développement des sciences et des techniques, notamment dans le domaine médical, prendre la forme d’un refus pur et simple de l’hypothèse même d’une « impérieuse prérogative du réel » ! Là où les stoïciens étaient si conscients de sa puissance, qu’ils préconisaient de réduire l’écart douloureux entre désir et réalité, en « changeant ses désirs plutôt que l’ordre du monde », la technique semble aujourd’hui nous donner le pouvoir d’escamoter le réel, en particulier ce qui, en lui, relevait jusque-là d’une nécessité biologique, pour faire valoir la toute puissance du désir. Non plus changer ses désirs pour les ajuster à l’ordre du monde, mais faire que le « monde » s’ajuste aux impérieuses prérogatives du désir ou du vouloir !
Ainsi est-on à peine surpris, que, dans sa contribution à l’imminente révision de la loi de bioéthique (Avis N° 129), le Comité Consultatif National d’Éthique souscrive (du moins la majorité de ses membres) aux demandes sociétales et aux « avancées » techniques, qui vont dans le sens d’une mise à l’écart croissante des processus biologiques spontanés.
Le rapport du Comité commence par rappeler, en son préambule, que ce qui est techniquement possible n’est pas pour autant « toujours souhaitable ». Mais malgré ce rappel, il cautionne :
La possibilité de conserver des ovocytes, hors de tout traitement médical provoquant une infertilité, pour les « utiliser » plus tard dans le cadre d’une fécondation in vitro, au nom de la « liberté » et de l’ « autonomie » des femmes ; les tests génétiques pré-conceptionnels, jusque-là réservés aux couples déjà éprouvés par une maladie transmissible d’une particulière gravité, dès lors que « les couples en feront la demande » ; « les demandes d’assistance médicale à la procréation par des couples de femmes et des femmes seules », au nom de « de la liberté et de l’égalité dans l’accès aux techniques d’A.M.P., pour répondre à un désir d’enfant ».
Est désormais jugé « éthique » la subsomption du « réel » aux décisions humaines. Reste à savoir si un séjour digne de ce nom est encore possible sur cette terre, quand l’homme y est au principe de tout, si, en d’autres termes, la réduction du « réel » à nos projets ne consacre pas la mort de l’éthique !
Danielle Moyse
Bibliographie :
le crépuscule des idoles, Nietzsche, Gallimard
Le réel et son double, Clément Rosset, Folio
Manuel, Epictète, Agora
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