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Durée : 29´
Euthanasie et vulnérabilité
I- La tolérance législative au phénomène de l’euthanasie ou du suicide assisté s’étend.
- Après des décennies d’opposition de la part de nombreux soignants, du Comité Consultatif National d’Éthique, de nombreux membres de la société civile, la « Convention citoyenne sur la fin de vie » récemment mandatée par le Président de la République s’est prononcée en faveur d’une forme de dépénalisation de l’euthanasie et du suicide assisté.
Elle avait eu pour caution de poids le dernier avis (N°139) du Comité Consultatif National d’Éthique qui, en rupture avec ses positions antérieures, et au nom de l’autonomie, s’était prononcé en faveur de la légalisation du suicide assisté, et, à partir de là, au nom de l’égalité ( ! ), en faveur de la dépénalisation de l’euthanasie, pour ceux qui ne seraient pas capables de s’auto-administrer la mort.
La signature récente, par 800 000 soignants d’un texte soulignant les risques que feraient encourir aux personnes vulnérables, aux principes qui régissent la médecine, à la société entière, cette dépénalisation de l’euthanasie et du suicide assisté, n’a pas empêché la « Convention citoyenne » de se prononcer dans le même sens.
Sommes-nous donc à la veille, en France, d’une forme de légalisation de la possibilité de demander la mort, ou de se suicider, dans certaines circonstances ? Pourrons-nous échapper à une telle légalisation qui, sous une forme ou une autre, ne cesse de s’étendre dans le monde ?
- Il est frappant de constater en effet combien, en 20 ans, ce phénomène s’est étendu à des pays de plus en plus nombreux. Au début des années 2000, cette autorisation législative concernait principalement les Pays bas et la Belgique. En Suisse, l’assistance au suicide était et demeure autorisée dès lors que l’aide apportée n’est pas motivée par un « mobile égoïste » suivant l’article 115 du code pénal du pays. La mise en pratique de cette autorisation étant assurée par des Associations (Exit, Dignitas) provoque un nombre conséquent de demandes en provenance de l’étranger, en particulier des pays limitrophes.
Mais la tendance euthanasique s’étend désormais très au-delà de ces quelques nations, considérées comme « pionnières » par les partisans de ces pratiques. Le Luxembourg a dépénalisé l’euthanasie active en 2009, la Colombie en 2015, le Canada en 2016 et l’Espagne en 2021.
Le suicide assisté est possible dans plusieurs États des États-Unis comme l’Oregon, Washington, le Nevada, le Vermont, la Californie, mais aussi en Suède et même au Portugal (2021).
Quel que soit le détail des législations, le mouvement s’étend.
II-Est-ce cela être moderne ?
De fait, il est assez frappant que des pays théoriquement réticents à l’idée que l’homme aurait le droit de se suicider ou de demander la mort, en raison d’une culture dominée par la religion catholique, comme l’Espagne ou le Portugal aient récemment ouvert la porte à de telles usages.
On peut en déduire que cela confirme la prophétie angoissée de l’ « insensé », annonçant la mort de Dieu dans le paragraphe 125 du Gai savoir, ou le diagnostic par lequel Martin Heidegger décrivait le mouvement de fond à la faveur duquel l’homme a cessé, au XVII ème siècle, de se concevoir comme « enfant de Dieu » pour s’affirmer comme Sujet. Or, cela correspond à une orientation générale au cours de laquelle l’homme a fini par se concevoir lui-même comme fondement de l’ensemble des phénomènes, en particulier de lui-même. Il aura fallu presque trois siècles pour que ce mouvement prenne corps, se réalise au sens exact du terme, c’est-à-dire entre dans le réel.
L’avènement effectif de l’homme auto-fondé est donc en cours. Quels en sont les dangers ? Est-ce l’affirmation ultime de la liberté humaine ? Ou devons-nous nous inquiéter de l’apparition effective de l’homme autoproduit, auto-transformé ( le transhumanisme obéissant à la même logique ), auto annulé, et arraisonnant les forêts, les océans, l’eau et le vent en fonction de ses besoins ? Car même s’il est évident que peut se conjuguer à la fois la défense de la nature et l’approbation de la dépénalisation de l’administration de la mort, chez certains écologistes, c’est pourtant la même logique qui promeut l’homme auto-producteur, et l’homme dominateur et destructeur de la nature.
Être vraiment moderne est-ce confirmer la tendance à la domination de tout, y compris de sa propre vie, ou bien est-ce cette culture de l’autofondation qui affaiblit les liens, menace non seulement les personnes les plus vulnérables et, plus largement, met en péril la possibilité d’habiter la terre ? Être moderne, est-ce aller jusqu’au terme de cette tendance qui renvoie l’individu à une maîtrise, de soi et de l’ensemble des phénomènes, absolue, ou est-ce faire apparaître l’impasse à laquelle nous mène ce mouvement, pour tendre la main à la vulnérabilité qui appelle la solidarité, et cultiver le souci de tout ce qui sur cette terre demande soin et protection ?
Bien sûr, on peut avoir envie de mourir dans certaines circonstances, et il n’est pas même nécessaire d’être à la dernière extrémité, ou atteint d’un handicap sévère pour connaître cette tentation, qui demande à être écoutée et entendue. Mais être moderne ne serait-ce pas accompagner les êtres en souffrance, et non les abandonner à leurs seules prérogatives ?
L’ultime victoire de la conception de l’homme auto-fondé est-elle vraiment la victoire de l’homme ou la consécration de la barbarie ?
III- Une crise de la confiance aux dépens des vulnérables.
Pourquoi de la barbarie ? Parce qu’il est évident que la civilisation se mesure à son aptitude à prendre soin de ce qui est fragile, parce que le droit commence par la récusation du droit du plus fort, et parce que, en l’occurrence, il est impossible qu’une loi sur l’euthanasie ne constitue pas une menace des personnes vulnérabilisées par des raisons de santé, de handicap, ou de situation sociale.
Le décalage entre la publicité faite autour des personnes qui demandent la mort ou qui estiment qu’il est nécessaire de légaliser l’euthanasie ou le suicide assisté est spectaculaire et l’a toujours été. Quel média a par exemple parlé de la lettre envoyée aux députés par un homme handicapé s’inquiétant du fait que le droit de mourir ne se convertisse dans bien des cas, en devoir de le faire ? Qui a entendu Pozzo di Borgo, dont le grand public aima pourtant tellement le film Intouchable qui raconte son histoire, dire que lui aussi voulait mourir quand il a eu son accident, mais que le soutien de ses proches l’a ramené à la vie, alors qu’il aurait peut-être accepté la mort si la législation avait été ouverte à l’euthanasie à cette époque ?
La difficulté tient au fait que l’auto-fondation de l’homme par l’homme ne peut que s’accompagner d’une crise de la confiance telle, qu’on finit par ne plus croire que les autres seront présents pour accompagner une douleur. L’homme auto-fondé est l’homme abandonné. À partir de là, nous sommes face à un engrenage : le lien de confiance est rompu, et je prends ma méfiance pour l’affirmation de ma liberté. Le sens de l’autodétermination monte alors en puissance et, de fait, le lien de confiance s’abîme encore un peu davantage.
Une société humaine est pourtant une société qui cultive la confiance et la rend possible. Entériner par une loi sur l’euthanasie, l’homme comme être autoproduit et bientôt auto-supprimé, n’est-ce pas menacer encore un peu davantage le sens du lien et de la relation, des hommes entre eux, mais aussi avec l’ensemble des phénomènes qui partagent la terre avec nous ?
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